« Il est au milieu du grand océan, dans une région où l’on ne passe jamais, une île mystérieuse et isolée; aucune terre ne gît en son voisinage et, à plus de huit cent lieues de toutes parts, des immensités vides et mouvantes l’environnent. »
Pierre Loti, 1872. Journal d’un aspirant de la Flore.
Les premiers occupants la baptisèrent de « bout de la Terre. » Leurs embarcations détruites, ces navigateurs trompèrent leur désarroi en érigeant des statues monumentales à l’effigie de leurs ancêtres. Dressées le long du littoral, le regard figé vers les étoiles, elles tournaient toutes le dos à la mer. En encerclant ainsi les insulaires, elles masquaient l’horizon de leur imposante taille comme pour écarter tout projet d’évasion. Plusieurs siècles plus tard, ces ancêtres déifiés furent quasiment tous renversés et le peuple de l’île de Pâques se voua à un nouveau culte, celui de l’homme-oiseau.
Dans l’ombre des derniers géants, je songe à la large silhouette de mon père, une petite île tatouée sur son épaule. Il est des royaumes qu’il nous faut quitter pour tendre vers la liberté.